Le projet de recherche-action LINDDA explore comment la recherche en design peut accompagner le couplage de l’agroécologie – une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes – et du numérique, et ainsi d’accélérer les transitions soutenables. Parmi les enjeux abordés par l’équipe de recherche : la prise de décision collective dans un contexte de transition. Dans ce cadre, et pour la première fois en France, une expérimentation d’un nouvel outil de prise de décision collective a été mise en œuvre pour guider collectivement la programmation de la recherche et mettre le numérique au service de la transition agroécologique.
Le projet de recherche LINDDA : à la croisée du numérique, du design et de l’agroécologie
En 2023, le Learning Planet Institute s’est lancé dans l’aventure du projet LINDDA (Living INfrastructure to Design responsible Digital technology for Agroecological transition, soit « Concevoir l’infrastructure vivante pour un numérique responsable au service de la transition agroécologique »).
Un programme de recherche-action PEPR
Coordonné par Muriel Mambrini-Doudet (Learning Planet Institute) et Annie Gentes (CY école de design – CY Cergy Paris Université, laboratoire ETIS), ce projet de recherche-action fait partie du, ce projet de recherche-action fait partie du Programme et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR) « Agroécologie et numérique », co-piloté par l’INRAE et l’Inria, et financé dans le cadre du plan d’investissement France 2030. 65 millions d’euros sont ainsi alloués, dans ce cadre, à la recherche en agroécologie et numérique.
Le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire est convaincu que pour accélérer la transition écologique des systèmes agricoles et faire face aux enjeux de sécurité alimentaire, climatiques et environnementaux, le numérique est un levier stratégique. Par ailleurs, la recherche et l’innovation sont essentielles pour mobiliser le numérique dans les transitions quelles qu’elles soient, notamment dans la transition agroécologique.
L’interdisciplinarité et la collaboration au coeur du programme de recherche
LINDDA explore la place et le rôle possible du design numérique dans les transitions. Ce projet a pour objectif de concevoir des ressources de design et de recherche interdisciplinaires visant à :
- outiller le travail interdisciplinaire et la capacité à relier les différentes échelles d’activités et de politiques,
- préciser les propriétés des infrastructures vivantes,
- spécifier la valeur ajoutée de la culture du design pour développer une agriculture numérique responsable, une agriculture responsable qui s’appuie sur des méthodes numériques responsables (pour en savoir plus, voir le livre blanc de l’INRAE « Agriculture et numérique »).
Pour répondre à ces défis, LINDDA illustre la conviction de ses concepteurs·trices selon laquelle il est nécessaire de ne plus travailler en silo mais en créant des ponts entre les domaines de recherche. LINDDA regroupe dans son équipe de recherche des expert·es du numérique pour la transition agroécologique (Inrae), de la modélisation holistique (Inria), de l’ergonomie (Cnam), du design (CY école de design) et de la conception interdisciplinaire (Learning Planet Institute) :
- design : Annie Gentes – CY école de Design
- processus interdisciplinaire : Muriel Mambrini-Doudet – Learning Planet Institute
- modélisation, robotique et technologie numérique : Véronique Bellon-Maurel – INRAE et Peter Sturm – Inria
- ergonomie : Flore Barcellini – Cnam et Marianne Cerf – INRAE
Choisir les orientations futures des recherches pour un numérique responsable en faveur de la transition agroécologique
A travers le PEPR « Agroécologie et numérique », la recherche et l’innovation doivent guider l’utilisation du numérique dans la transition agroécologique pour, à terme, l’accélérer. De multiples orientations de recherches en faveur d’un numérique responsable dans la transition agroécologique sont envisageables. Restent à déterminer quelles pistes de recherche explorer ou non, et surtout avec quel degré de priorité. Quelles sont les questions les plus urgentes au regard de la communauté scientifique ? Quelles sont les urgences au regard des enjeux de la transition agroécologique ? Comment hiérarchiser les actions et les budgets ?
Le vote quadratique, outil de décision collective et expérimentation inédite
A l’occasion des premières journées du programme de recherche « Agroécologie et Numérique : données, agroéquipements et ressources génétiques au service de la transition agroécologique et de l’adaptation aux aléas climatiques », les 31 janvier et 1er février 2024, l’équipe de recherche LINDDA a travaillé sur une méthode pour déterminer, collectivement, les valeurs des futures orientations de recherche et ainsi guider la priorisation de recherche et d’actions sur le numérique pour la transition agroécologique.
Sur la base des travaux de Stéphanie Hémon sur le design de territoire, de Pauline Oger sur le design de la transition inclusive, et de Giulia Marcocchia sur la question de l’émergence des écosystèmes, l’équipe de recherche LINDDA a pu constater que le design de transition butte, entre autres, sur des problématiques de décision collective. Décider de priorités de manière collective et démocratique relève souvent du défi.
Dès lors, l’objectif a été de rechercher quelles seraient les propriétés d’outils de décision qui permettraient d’aligner les valeurs des « concerné·es » de façon démocratique, en évitant notamment les écueils de « la dictature de la majorité » et les effets de polarisation.
C’est ainsi que, dans ce cadre et pour la première fois en France, une expérimentation de vote quadratique a été mise en œuvre pour guider la programmation de la recherche et mettre le numérique au service de la transition agroécologique en France.
L’intérêt du vote quadratique dans le projet LINDDA
Dans sa version la plus simple, le vote quadratique attribue à chaque électeur·trice un budget de crédits de voix (Glen Weyl – économique politique). Les électeurs·trices utilisent ces crédits pour acheter des votes – selon une grille de valeurs prédéterminée – pour une·e candidat·e ou une proposition.
Exemple : Le premier vote pour un candidat coûte un crédit. Mais le fait de voter deux fois pour un même candidat coûte quatre crédits (c’est-à-dire deux au carré) ; accorder trois voix à un candidat coûte neuf crédits (trois au carré), et ainsi de suite.
Les électeurs·trices expriment ainsi un degré de préférence et une volonté. Les électeurs·trices sont amenés à faire des compromis, limité·es par leur banque de crédits. Le vote quadratique est une méthode flexible de vote préférentiel multi-options qui permet aux participant·es de répartir un certain nombre de points entre plusieurs propositions en fonction de l’intensité de leurs préférences.
Mise en place du vote quadratique dans le projet LINDDA
Cette première expérimentation de vote quadratique a été organisée sous la direction d’Annie Gentes et Justine Peneau de CY école de design et de Muriel Mambrini-Doudet du Learning Planet Institute. En « détournant » légèrement le vote quadratique, l’équipe de recherche en a fait un outil de gouvernance de la recherche.
La plateforme de vote quadratique a été développée par Ophélie Baribaud et le laboratoire CY Design research. Si la réalisation s’appuie sur des calculs complexes de probabilité d’optimisation de l’intérêt commun, les modalités de participation sont simples. Lors d’un atelier de deux heures, les participants seront appelés à pondérer un choix de 10 orientations de recherche. Ils pourront ainsi hiérarchiser individuellement les propositions, constater ce qui fait sens collectivement et revisiter les connaissances nécessaires aux transitions soutenables.
Au total, 50 participant·es ont voté – chaque votant·e disposant de 99 crédits – et 8 participant·es ont pris part au groupe de discussion sur l’application et l’expérience de vote.
Le vote quadratique comme outil de gouvernance de la recherche, retours sur une première expérimentation
L’analyse des résultats est faite en 2 parties :
- une analyse des statistiques de votes
- une analyse qualitative de l’expérience (grâce aux retours du focus group et de 13 entretiens à venir)
Bien que les résultats ne sont pas encore disponibles, quelques premières données sur le comportement des votant·es se dégagent dès la fin de l’expérimentation :
- plus de la moitié des participant·es utilisent tous – ou pratiquement – leurs crédits et très peu n’en dépensent que quelques-uns, révélant une dynamique de vote portée sur la dépense de crédits et donc la volonté de faire peser son avis dans le vote
- on ne note pas de polarisation des votes, ce qui semble confirmer l’un des intérêts du vote quadratique qui est de soutenir un intérêt nuancé pour différentes propositions.
Le vote visait à hiérarchiser 10 orientations de recherche en agroécologie/numérique, pluridisciplinaires et rédigées par les deux responsables du PEPR agroécologie et numérique Claire Rogel-Gaillard et Jacques Sainte-Marie avec la collaboration de l’équipe de recherche.
En savoir plus sur les propositions
Pour Muriel Mambrini-Doudet, c’est justement la rédaction des propositions qui s’est révélée être la plus complexe.
« Beaucoup réside dans le libellé des questions ; afin qu’elles lancent efficacement la discussion sur les orientations scientifiques pour répondre aux enjeux de la durabilité, elles doivent être construites comme des vecteurs de connaissances hétérogènes associant différents champs scientifiques, pratiques, usages, orientations politiques… Il faut que chacune d’entre elles couvre une dimension différente afin qu’elles fassent un tour à 360° des problématiques avec un maximum de nuances. (…) Il me semble alors qu’il faudrait compléter l’outil de décision avec un outil de conception de questions. Cela semble possible en combinant les recherches propres au design et celles sur les processus interdisciplinaires.”
Cette première expérimentation de vote quadratique en recherche a également été à l’origine de réflexions et de discussions sur les types de votes et les applications possibles de ce vote dans la vie des participant·es. Annie Gentes exprime d’ailleurs un intérêt particulier pour ce retour à chaud des participant·es :
« Les personnes ont tout de suite été intéressées par cette modalité de vote qui peut servir aussi bien dans une copropriété que dans une mairie ou tout autre collectif. Les participant·es avaient d’autres expériences de votation : comme le jugement à la majorité. Iels ont donc engagé les discussions sur les mérites respectifs de ces deux systèmes. En fait, les participant·es ont très vite compris comment voter avec ce système. »
« En revanche il y avait une demande d’approfondissement qui correspond à un besoin de connaissances sur cet outil de décision. Par manque de temps nous n’avons pas pu créer un espace de formation à cette votation qui pourtant semble important pour acculturer les participant·es au vote quadratique et surtout leur faire prendre un recul critique sur le vote qu’iels connaissent. »
L’expérimentation et la recherche ne s’arrêtent pas là. Pour Annie Gentes et Justine Peneau, « la plateforme développée à l’occasion des journées 2024 PEPR va d’ailleurs être à nouveau déployée dans différents contextes : entreprises, projets de territoire…».
En savoir plus
- Dossier de presse « Construire une stratégie collective : le vote quadratique, outil de conception et de décision démocratique »
lien PDF
- LINDDA project on Projects
Lire aussi
- LINDDA, le projet qui va aider l’agriculture à se mettre au vert, Cnam
- Journées 2024 du programme Agroécologie et Numérique
Un merci particulier à Annie Gentes, Justine Peneau et Muriel Mambrini-Doudet pour leurs précieuses contributions.